Alors que Lunatic, son nouvel album, est sorti cette semaine, un journaliste se penche sur la talent d’écriture indéniable de Booba.
Plus qu’intéressant.
Les figures de l’analogie
On retrouve ici tous les procédés qui rapprochent deux réalités pour créer un effet. Comme chez beaucoup d’autres artistes de rap, la comparaison domine clairement dans l’oeuvre de Booba, procédé ô combien utile pour créer des punchlines, les rimes percutantes dont se délectent les rappeurs. Mais on trouve aussi des exemples de métaphores, voire de métagores, un terme créé par Ravier à propos de Booba pour décrire « des rapprochements qui n’ont pas lieu d’être et immédiatement, une apparition, vénéneuse, rétinienne, brusque, brutale, impossible à se retirer de la tête. Je croyais mettre un disque, j’ai ouvert un album photo, un livre de chair, de son, verbe en sang, une boîte de Pandore ». Une allégorie salace et un lot de personnifications, où on notera qu’elles concernent pratiquement toujours le rap de l’auteur.
La comparaison
Muet comme un rat mort
(Boulbi)
Pour l’instant je suis violet comme un billet de 500
(Foetus)
J’peux finir au tar-mi comme le célèbre Cheb Mami
(Garcimore)
Plein d’haine comme les rayures sur ma portière
(Salade Tomate Oignons)
La métaphore
J’ai des piranhas dans le bocal
(Tallac)
Ma jeunesse a la couleur des trains
(Ma définition)
Dans le rap j’écris et produis, j’suis chauffeur, livreur
(Numero 10)
J’suis trop en avance pour leur demander l’heure
(Pitbull)
Et la métaphore filée
Tu traînes en meute, deviens loup de la ville
(Illegal)
Lyrics déférés au parquet, j’suis en concert au dépôt
(Tallac)
Tu fais le loup, le chien, tu aboies je fais la Lune
(Rat des Villes)
Depuis les chaînes et les bateaux j’rame,
T’inquiète, aucune marque de l’dos man, j’les ai dans l’crâne.
(Le bitume avec une plume)
J’ai du calcaire dans les artères
Un coeur de pierre
(Garde la pêche)
L’allégorie
Quand j’vois la France les jambes écartées j’l’encule sans huile
(Le bitume avec une plume)
La personnification
Le rap s’est fait goumer
(Ecoute bien)
J’ai la rétine assassine
(Le bitume avec une plume)
Mon rap prend de la protéine, soulève v’là les haltères
(Le Duc de Boulogne)
Même si mes paroles ont les menottes, sont plaquées au sol
(Numéro 10)
Les figures de la substitution
Comme leur nom l’indique, il s’agit ici de désigner une réalité par une autre. Dans le cas de la métonymie, c’est une relation logique (la plume pour l’écrivain) alors que la synecdoque, qui, nous dit Le Robert, « consiste à prendre le plus pour le moins, la matière pour l’objet, l’espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel ou inversement (ex. les mortels pour les hommes ; un fer pour une épée ; une voile pour un navire) », exige un rapport d’inclusion ou de dépendance. Quant à la périphrase, il s’agit de décrire une réalité de manière alambiquée ou détournée, comme dire « la vente de substances bizarres » plutôt que « le deal ».
La métonymie
Je suis le bitume avec une plume
(Le bitume avec une plume)
La synecdoque
Nos terres sont pétroles et rubis (...)
Casquette baissée dans mon auto parce qu’ils contrôlent, accusent à tort mon logo, les joueurs de polo, les alligators
(Ecoute bien)
La périphrase
J’suis condamné au mic à la vente de substances bizarres
(Boubli)
Les figures de l’opposition
Il s’agit ici d’associer des termes contradictoires pour jouer du contraste. Booba raffole ainsi de l’antithèse, particulièrement percutante. On trouve aussi un chiasme (« blanc bonnet et bonnet blanc »), c’est-à-dire une construction de type ABBA, dans la magistrale Double Poney, où A serait la pauvreté et B l’opulence. Enfin l’oxymore, où on accole des termes contraires, comme dans « obscure clarté ». Chez Booba, on « crie tout bas ».
L’antithèse
Bleus sont les gyros, rouges sont mes yeux
(Illégal)
Non à l’ANPE, oui à la débauche
(0.9)
Tu penses à sortir un album, je pense à arrêter l’rap
(La vie en rouge)
La vie d’un homme, la mort d’un enfant
(Pitbull)
Des bancs de la school au port de la cagoule,
Des crayons de couleurs aux uzis mitrailleurs,
Flash back ! Du landeau à la Maybach,
Du premier esclave au premier président black.
(Foetus)
Le chiasme
Tu t’fais des casse-croûtes j’me fais des restos
J’envoie des diamants à ma go t’envoies des textos
(Double Poney)
L’oxymore
Quand j’arrive ils crient tous tout bas « Booba »
(On m’a dit)
Les figures de l’amplification
Chez un rappeur dans l’autocélébration permanente comme Booba, on trouve aussi foule de figures d’amplification. Ainsi des hyperboles du chanteur, qui ont souvent un effet comique par leur côté « hénaurme ». De par la structure de refrain inhérente aux chansons, il est logique de retrouver des anaphores, où l’on répète un même ensemble de mots, comme dans le J’accuse de Zola. Quant à la paronomase, si le nom de cette figure fait peur, il s’agit simplement de rapprocher des mots comportant des sonorités semblables mais qui ont des sens différents.
L’hyperbole
Je fais des dons d’urine pour que la France entière se désaltère
(Le Duc de Boulogne)
Sers-moi mon Jack dans un seau d’eau
(Salade Tomate Oignons)
à relier à
Mets-moi le Graal entre les mains j’me sers un verre de sky
(Ouest-side)
Si je traîne en bas de chez toi je fais chuter le prix de l’immobilier
(Boubli)
Mon uzi pèse une tonne, je ne viens que pour de grosses sommes
(Double Poney)
L’anaphore
Sans diplôme sait dire que wesh wesh
Garde la pêche
T’as pas d’ mandat t’est au hebs
Garde la pêche
Tu veux monter sur le ring
Garde la pêche
Tu veux faire un featuring
Garde la pêche
(Garde la pêche)
La gradation
Tu peux pas rivaliser, on va te dévaliser
Te déraciner, te décalciner
(Le Duc de Boulogne)
L’accumulation
Tout commence dans la cour de récréation
Malabar, Choco BN, sale noir, ma génération
(Pitbull)
La paronomase
Quiconque me défie peu se méfie
(Le météore)
Les figures de l’atténuation
Totalement l’inverse des précédentes, il s’agit ici de rendre moins forte une réalité par le style. Ce sont des figures que l’on retrouve moins dans l’oeuvre de Booba, mais en cherchant bien, on trouve. Ainsi la litote, où l’on déguise sa pensée pour lui donner d’autant plus de puissance (la plus célèbre sûrement est de Corneille : « Va, je ne te hais point »). Ici, « peu se méfie » s’apparente en fait à des représailles qu’on suppose particulièrement violentes. Les euphémismes les plus connus concernent la mort (dire « il est parti » pour « il est mort » par exempe). Pour en parler, Booba évoque pudiquement « le billard » sur lequel on reste.
La litote
Quiconque me défie peu se méfie
(Le météore)
L’euphémisme
Une spéciale dédicace à tous mes frères sur le billard
(La vie en rouge)
Figures de construction et de son
Pour finir ce long exposé, trois dernières figures de style de construction et de son. Le parallélisme, que l’on retrouve d’ailleurs dans des figures déjà évoquées telles que l’antiphrase ou d’une certaine manière le chiasme consiste, comme son nom l’indique, à construire une phrase ou un vers de manière parallèle. Les deux autres figures concernent le son, et sont fondamentales en matière de chanson. L’allitération, c’est la répétition de mêmes consonnes, l’assonance de voyelles. Évidemment, on en trouve énormément dans les chansons de Booba.
Le parallélisme
Enervé dans le 92 izi car fouetté dans le Mississipi
(A3)
L’allitération
Ramène-moi une p’tite pute, bête sans but, j’la ferai crier du bout d’ma longue bite
(La lettre)
L’assonance
Les clochards vendent des copies de mon nouvel opus
Prennent le bus pour aller sucer, au marché aux puces
(Le Duc de Boulogne)
© Etienne Quiqueré via Slate.
Booba - Lunatic
Tallac/Because